La gestation pour autrui (GPA) est le fait pour une femme (appelée généralement « mère porteuse ») de porter un enfant pour le compte d’un couple à qui il sera remis après sa naissance étant précisé qu’en fonction des situations, les membres du couple peuvent être les parents génétiques de l’enfant (les deux membres du couple ou un seul membre) mais également, n’avoir aucun lien génétique avec l’enfant.
Dans un arrêt du 31 mai 1991 (RG 90-20.105), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a annulé l’adoption par une femme d’un enfant né d’une gestation pour autrui considérant que « cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, ce processus constituait un détournement de l’institution de l’adoption« .
Cette interdiction de la gestation pour autrui a été consacrée par la loi n°94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain qui a notamment introduit l’article 16-7 du Code civil et l’article 227-12 du Code pénal.
Cependant, si elle est interdite en France, la gestation pour autrui est, au contraire, légale dans certains pays.
C’est pourquoi, il s’est posé la question des effets juridiques en France d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger.
Initialement, la Cour de cassation avait adopté une position très ferme en refusant catégoriquement la transcription sur les registres de l’acte civil français de l’acte de naissance de l’enfant issu d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger et ce, même si les parents d’intention étaient les parents génétiques de cet enfant (ex : Civ. 1re, 19 mars 2014, FS-P+B+I, n° 13-50.005). La Cour de cassation, pour soutenir une telle position, arguait que la contrariété de la gestation pour autrui à l’ordre public français.
Cependant, des requérants français ont porté la problématique devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Par deux arrêts du 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la position des juridictions françaises considérant que le refus de reconnaissance ou d’établissement de tout lien de filiation, notamment à l’égard du parent biologique, constituait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH 26 juin 2014, Labassee c/ France, no 65941/11, Mennesson c/ France, no 65192/11).
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a, dans deux arrêts du 3 juillet 2015 (n° 14-21.323 et n° 15-50.002), pris acte de la position de la CEDH et ainsi, procédé à un revirement de jurisprudence sans, toutefois, remettre en cause l’interdiction de la gestation pour autrui. Dans lesdits arrêts la Cour de cassation a, ainsi, considéré que « le refus de transcrire, à l’état civil français, l’acte de naissance étranger d’un enfant né à l’étranger des suites d’une gestation pour autrui et ayant un parent français ne peut plus être justifié par la seule existence de la convention de GPA dès lors que l’acte de naissance litigieux mentionne en qualité de père et mère les véritables parents biologiques de l’enfant ».
Plus tard, la Cour de cassation a également admis, notamment dans des arrêts du 5 juillet 2017 n° 15-28.597, 16-16.901, 16-16.455, que l’adoption de l’enfant par le parent d’intention (conjointe ou conjoint du parent biologique) est possible.
La Cour de cassation a, en octobre 2018, interrogé la CEDH sur la question de la mère d’intention. Par avis public consultatif du 10 avril 2019, la CEDH a expliqué considérer que « l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise ». Par conséquent, elle a estimé que la filiation devait être reconnue pour la mère d’intention qui a désiré et élevé l’enfant mais que cela n’impliquait pas nécessairement la retranscription des actes de naissance dans les registres d’état civil nationaux. La CEDH laissait, ainsi, libres les Etats de décider quel était le mode le plus adapté pour reconnaître le lien de filiation entre le parent d’intention et l’enfant. La France pouvait donc librement reconnaître le lien de filiation par la transcription des actes de naissance dans les registres d’état civil mais également, par la procédure d’adoption ou encore de possession d’état.
Suite à cet avis, la Cour de cassation, dans un arrêt de son Assemblée plénière du 4 octobre 2019, 10-19.053, a considéré que la mère d’intention pouvait valablement solliciter la transcription sur les registres de l’état civil des actes de naissance établis à l’étranger des enfants issus d’une gestation pour autrui la désignant comme mère desdits enfants.
Cependant, la Cour a précisé qu’il convenait, en la matière, d’adopter une méthode d’« appréciation in concreto », de statuer en fonction « l’intérêt supérieur de l’enfant (…) exige(ant) pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances qui la caractérise ».
Cependant, la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 est venue modifier l’article 47 du Code civil et revenir à la jurisprudence antérieure.
En effet, l’article 47 du Code civil prévoit, désormais, que » tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française« .
Ainsi, la nouvelle rédaction de l’article 47 du Code civil fait notamment obstacle à la transcription de la filiation établie simultanément à l’égard de deux pères puisqu’elle n’est pas conforme à la réalité au regard de la loi française.
C’est pourquoi, saisi par deux pères ayant réalisé une gestation pour autrui dans un Etat des Etats-Unis et obtenu une décision dans ledit Etat les déclarant tous les deux pères de l’enfant issu de ladite gestation pour autrui, le Cabinet GOUYET-POMMARET – ORARD a décidé de se tourner vers un autre mécanisme afin de faire produire tous les effets de ladite décision en France.
Le Cabinet GOUYET-POMMARET – ORARD s’est orienté vers la procédure d’exequatur à l’encontre duquel il ne peut être opposé l’article 47 du Code civil.
En effet, l’article 509 du Code de procédure civile prévoit que » les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi ».
Il est de jurisprudence constante depuis un arrêt de principe rendu par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 20 février 2007 (Cass. Civ. 1, 20 février 2007, n°05-14.082, FS-P+B+R+I) que, pour accorder l’exéquatur hors de toute convention internationale, le Juge français doit s’assurer que trois conditions sont réunies : le Juge doit vérifier la compétence indirecte du Juge étranger, la conformité de la décision à l’ordre public international de fond et de procédure et l’absence de fraude à la loi.
Le Cabinet a démontré que toutes les conditions étaient, en l’espèce, réunies pour parvenir à l’exéquatur de la décision étrangère c’est-à-dire à la rendre exécutoire en France.
C’est pourquoi, et alors même que le Parquet s’y opposait, le Tribunal judiciaire de PRIVAS a, par jugement du 11 janvier 2024, fait droit à la demande du Cabinet et a déclaré exécutoire sur le territoire français de la décision rendue aux Etats-Unis. Partant, les deux hommes sont tous les deux reconnus, en France, comme étant les parents de l’enfant issu de la gestation pour autrui.
TJ de Privas du 11/01/2024 (RG 22/02987)